De 1934 à 1939 les recherches de Perriand ont en commun d’aller à l’économie de gestes, de moyens et d’espace, avec un impact minimum sur la Nature.
Charlotte Perriand n’est pas seulement une pionnière sur le plan du design et de l’architecture, c’est une avant-gardiste du refuge. Mise à l’honneur dans la grande exposition qui s’ouvre à Paris, à la Fondation Louis Vuitton, Perriand aurait aussi eu sa place en majesté dans un salon du survivalisme. Voilà ma théorie.
Les salons du survivalisme existent depuis 2018, et c’est là que se retrouvent, entre autres, les organisés voire les paniqués de la crise énergétique, climatique, financière ou sécuritaire. Une période créative de Charlotte Perriand illustre en particulier son « survivalisme » anticipé.
De 1934 à 1939, Charlotte Perriand se lance dans une série de recherches, et devient sa propre « commanditaire », émancipée du bureau d’études du Corbusier. Elle va alors dessiner cabanes, abris, refuges, bâtiments de secours, et maisons en kit. Explorant les possibilités d’un habitat beaucoup plus éphémère et adaptable.
Quand on y songe, rien d’étonnant à ce que les mortifères années 30 aient été propices à l’élaboration d’une architecture de survie… Mais ce n’est pas ce qui motive les dessins de Perriand. Comme ses contemporains venus des avant-gardes, elle cherche à résoudre la question de l’habitat minimum pour tous.
Aussi et surtout, elle est viscéralement attachée à la montagne. C’est donc à partir de ses expériences, notamment la construction en catastrophe d’un igloo, que Charlotte Perriand va développer sa veine « survivaliste ». Des conceptions en série, légères, transportables, modulables et nécessairement tout terrain. Des projets qui ont en commun d’aller à l’économie de gestes, de moyens et d’espace, avec un impact minimum sur la nature.
Perriand initie une architecture de la frugalité à l’opposé des « constructions séductrices de béton faites pour durer ou pour paraître » comme le résume son gendre et historien de l’architecture Jacques Barsac.
Trois projets de papiers, dont un seul sera construit de son vivant, incarnent cette vision à 360 (design, architecture, urbanisme) du refuge et du ressourcement, chez Charlotte Perriand.
– Premièrement le « Refuge Bivouac » conçu avec l’ingénieur en aluminium André Tournon. Une petite boîte sur pilotis qui se transporte et se monte dans les circonstances les plus extrêmes. Ça aurait fait un malheur au prochain salon survivaliste de 2020, entre les abris éco-suffisants, et le stand des derniers équipements stratégiques.
– Deuxièmement le « Refuge Tonneau » imaginé avec Pierre Jeanneret. Tout le confort moderne dans une mini structure en bois qui reprend la forme d’un manège (couchettes, cuisines, chauffage, rangements) et gravite autour d’une colonne centrale. Le tout transportable et montable en trois jours.
– Enfin « La maison au bord de l’eau » qui emprunte à la nature alentour ses bois et ses formes, recycle l’eau de pluie, et démocratise les fameuses résidences de week-end. Aujourd’hui ce serait un hôtel d’éco-cabanes responsables.
Transitoire et agile (pour reprendre une expression très « nouveau monde »), l’architecture « survivaliste » de Charlotte Perriand trouve un équilibre entre la vie et les formes qui n’a rien de théorique, parce qu’elles s’engendrent l’une l’autre. C’est un dialogue du dedans et du dehors, de la nature et du bâti. La victoire du vernaculaire sur le spectaculaire.
À l’image de la Perriand « survivor » qui trône sur l’affiche de l’exposition, brandissant ses gants d’alpiniste droit dans les airs, face à la Montagne, le dos nu et musclé, simplement rehaussé d’un petit collier. C’est le détail qui compte et qui fixe la règle, modeste ne signifie pas moyen !